L'ATTAQUE D'UN CAMION ALLEMAND
LE 17 JUIN 1944 À LA LANDE EN PLOUBEZRE
Récit de cet épisode raconté par Corentin André le capitaine Maurice, qui dirigea l’opération
Corentin ANDRE
capitaine MAURICE
Eugène GUENNEC,
"PETIOT"
Franz PETREI
Jean QUERE
Un des faits marquants parmi les actions menées par la Résistance dans le canton de Lannion fut l’attaque d’un camion de feldgendarmes à la Lande en Ploubezre par un groupe de FTPF. Cette opération a mis en évidence, que sans l’appui de la population civile rien ne fut possible (renseignements, hébergement, silence des témoins, cache après une opération menée...).
La décision de mener une expédition punitive contre les tortionnaires et tueurs du lieutenant chef de la prévôté de la 266éme division de la whermacht et tortionnaire de la Pépinière en Plouaret avait mûri au fil des événements : rafles de Plouaret, du Dresnay, de Perros-Guirec ; combat de Kerguiniou en Ploubezre ; exécutions de Servel ...
Nous disposons d’un élément précieux et efficace en la personne de Madame Pinson institutrice à l’école publique de Kérauzern en Ploubezre, distante du bourg d’environ 4 km, qui nous donnera tous les renseignements utiles.
Dans son livre "Mémoires d'un Partisan Breton", Louis Pichouron le Commandant Allain relate cet événement, d'après un résumé que je lui fis.
Dans la matinée de 17 juin je fus prévenu du passage d'un camion de feldgendarmes venant de Plouaret. Celui-ci se dirigeait sur Lannion où s'effectuait, au camp d'aviation, une réquisition générale de véhicules. Nous décidons l'attaque de ce camion lorsqu'il sera sur le chemin du retour, le soir même, entre Ploubezre et Kerauzern, au lieu dit La Lande en Ploubezre.
Nous quittons la ferme Éven, près du Quinquis, vers 20 heures. Le groupe est composé comme suit : Jacques Guennec "Petiot", Jean Quéré originaire de Ploubezre et servant de guide, Jean Le Bihan. Le petit détachement est encadré par Corentin André le capitaine Maurice et Franz Petrei, un antifasciste Autrichien déserteur de l'armée hitlérienne.
Notre armement consistait en trois mitraillettes, un pistolet et Franz avec son fusil Mauser emporté lors de sa désertion le 27 mai 1944 du camp d’aviation de Servel.
Après une marche de deux heures à travers la campagne, car nous devions éviter la route de Lannion, la voie ferrée et les fermes, nous arrivons en vue du clocher de Kerauzern et traversons la voie ferrée qui, à cet endroit, est parallèle à la route et séparée de celle-ci par une centaine de mètres. Notre dispositif de combat est rapidement pris. J'invite une fermière que notre manège semblait intéresser à dégager des lieux.
A l'instant même où je perçus le bruit d'un camion, nous étions postés en tirailleurs, à trois mètres l'un de l'autre, sur le talus bordant la route et bien dissimulés dans les fougères.
J'étais à l'extrémité nord du dispositif et j'apercevais le virage à une cinquantaine de mètres d'où devait déboucher le camion. La fermière se dirigea rapidement vers le virage. Au moment où elle allait l'atteindre, je la vis lever les bras au ciel et faire des signes désespérés au camion. Ce geste me laissa supposer que c'était un camion Français et pas encore celui que nous attendions. Je l'aperçois dans le crépuscule, il approche, il ralentit, il est maintenant à vingt mètres.
C'était bien le camion boche. Je distinguai les casques. Il est à dix mètres, il va s'arrêter. Il est là à nous toucher.
Le canon de ma mitraillette bloqué dans une fourche d'arbuste, je lance ma première rafale dans la cabine.
Aussitôt se déchaîne le concert des rafales rageuses des mitraillettes, ponctué par des coups plus sourds du Mauser de Franz. Le camion est arrêté, en un clin d'œil nous sommes debout, le dominant ; du haut du talus la grêle de projectiles plonge sur les colliers de chien (allusion aux colliers métalliques portés autour du cou par les soldats allemands).
Une vingtaine de soldats allemands n'ont pu esquisser un seul geste de défense ; on les voyait s'écrouler comme des pantins sous les balles reçues presque à bout portant.
On n'entendait plus que le râles des mourants lorsqu'on se préparait à sauter dans le camion pour récupérer les armes de nos adversaires. Mais nous fûmes surpris par l'arrivée d'un side-car, puis d'un autre camion chargé de boches. Le premier reçut une rafale et alla plonger dans le fossé, mais les occupants du deuxième camion mirent pied à terre et se déployèrent dans les champs.
Etant inférieur en nombre, je commandais le repli derrière la voie ferrée.
La nuit était tombée, ce qui favorisa notre retraite ; dans la nuit, l'ennemi ouvrit le feu dans notre direction mais n'osa pas se lancer à notre poursuite.
A une heure du matin nous avons réintégré nos bottes de paille, après un bon casse croûte offert par le père Even pour la circonstance.
Les feldgendarmes tortionnaires de Plouaret et leur Lieutenant criminel de guerre, appelé "Le boucher de Plouaret", venaient de payer leur dette pour les atrocités et les forfaits qu'ils avaient perpétrés au maquis de Kerguiniou et ailleurs.
Les blessés allemands seront transportés à Plouaret puis transférés dans l'hôpital militaire allemand de Pédernec.
Le nombre de morts allemands est difficile à évaluer, car les occupants ne publiaient jamais de bilan des opérations réalisées par la Résistance. Mais à 10 mètres, projeter sur un objectif à l'arrêt 200 projectiles cela fait habituellement beaucoup de dégâts, on peut penser qu'il y eut 25 allemands blessés ou tués.
A proximité de l'embuscade habitait la famille Le Morvan, il vont subir durant des heures les interrogatoires des militaires allemands rescapés de l'opération, cette famille fera preuve d’un courage et d’une fermeté admirable. Marie la fille ainsi a reconnu un des membres de l’expédition, Jean Quéré un voisin.
Le père indique la conduite à tenir : "Ce ne sont pas des gens du pays". Les parents et les 3 adolescents ne céderont pas aux interrogatoires et aux menaces, il n’y aura finalement pas de représailles contre la population.
D'après des témoins, le camion réussit à rejoindre Plouaret, il arrive près de la gare, les allemands entrent brutalement dans un café qui est fermé à cette heure, ils sont très excités, ils interdisent aux occupants qui sont des femmes exclusivement de sortir. Malgré tout dans le camion de nombreux corps étendus en désordre et visiblement morts sont vus de façon très distincte.
Le lendemain une traînée de sang était visible sur la route en partant de la Lande.
L'endroit exact de l'embuscade se situait à côté d'une forge tenue par Jean Jégou, à environ 300 mètres du lieu dit la Lande en direction de Ploubezre.
Afin de remercier la famille Le Morvan pour son courage, l'ANACR lui remis une attestation de reconnaissance.
La Résistance reconnaissante
Comité Départemental des Côtes du Nord de l'Association Nationale des Anciens Combattants de la Résistance (ANACR).
Diplôme de reconnaissance pour service rendu à la Résistance.
A Monsieur Le Morvan Emile, son épouse née Angèle LE MERDY et leurs enfants : Marie 16 ans, Joseph 15 ans, Odette 14 ans.
Ce samedi 17 juin 1944, reste gravé dans les mémoires de la famille Le Morvan de La Lande en Ploubezre.
Les faits : " Soudain vers 21 heures, surgissent 5 hommes du maquis, à l'instant même ou pointe le camion de feldgendarmes. En quelques secondes ceux-ci sont totalement cloués sur leurs sièges par des rafales d'armes automatiques, et des balles de fusil. Le side-car de l'officier qui suit subit le même sort. Aucune réaction ne parviendra des véhicules."
Le chef de la prévôté de la 266ème division de la whermacht et son équipe de tueurs viennent d'expier leurs crimes :
- Les patriotes fusillés la veille à Servel.
- Les fusillés de Ploufragan (originaires du secteur), le 6 mai.
- La rafle du Dresnay en Loguivy-Plougras le 13 mai.
- Le combat de Kerguiniou en Ploubezre, le 23 mai.
- La rafle de Perros-Guirec le 4 juin.
- L'arrestation de l’équipe du père Boulard à Plougrescant, dont on ne retrouvera jamais les dépouilles.
- et d’autres crimes ...
Les hommes du maquis se retirent avant l'arrivée de l'escorte cycliste.
Malgré les conseils des maquisards, les Le Morvan décident de rester sur place, avec un cran et une ténacité exceptionnelle, tous les 5, adolescents compris, maintiendront qu'ils ne connaissent absolument aucun des hommes du maquis (alors qu'ils en ont reconnu deux). Inutile de dire par quels moments pénibles ils eurent à passer, avant que grâce à eux l'idée de représailles coutumières ne soient abandonnées.
A La Lande en Ploubezre, Joseph Morvan (15 ans à l'époque des faits) devant la maison où il demeurait, donne des explications au petit fils à Franz Petrei, Stefan,
sur la soirée du 17 juin 1944.